Un grand merci à tous ceux qui ont une pensée pour Jean-Michel Caradec.
Je suis très touchée par vos témoignages qui m’encouragent à tout faire pour qu'on ne l'oublie pas.
Le goût de vivre, sans doute l'avait-il plus que les autres. Et son instinct devait lui dire qu'il fallait faire vite ; dommage.
Heureusement, il nous reste "Parle-moi", "le fil du funambule" et les autres. Heureusement ! Apporte du vin frais. On va parler de Dylan, de football, de Brest et de Toulouse, des mots et des couleurs. Des oiseaux qui partent trop vite.


(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
Je suis heureux que la mémoire de ses chansons se perpétue à travers le site jeanmichelcaradec.com.
Jean-Michel au delà de la poésie des mots et de la musique savait cueillir des images dont la fraîcheur ne s’est en rien altérée avec le temps.
Sa disparition trop rapide nous a privés de son regard sur le monde d’aujourd’hui, mais notre cœur d’enfants résonne toujours au son de son univers lumineux.
Nous avons partagé des instants trop courts, mais si intenses…
Je n'aurais jamais voulu parler de toi au passé, alors je flashback au présent.
On est en 1974, je suis un des plus mauvais lycéens de la capitale, et comble de malheur, j'écris des chansons. Je téléphone à la maison de disques la plus proche de chez moi, et on me passe le Directeur Artistique de service J.-M. Caradec. Je crois que c'est une blague parce que J-M Caradec est un chanteur que j'entends à la radio, enfin bref j'arrive et je te rencontre. Effectivement, tu n'as pas la tronche d'un Directeur Artistique mais le succès tardant à venir, il faut bien manger.
N'importe qui m'aurait viré au bout de cinq minutes tellement je suis nul, et toi tu m'écoutes, tu me dis même que j'ai du talent et au lieu de se terminer par – on vous écrira – on devient pote dans l'heure qui suit ; tu me présente Maxime Le Forestier, J.-P. Kernoa, Jacques Bedos, enfin tout ce qui bouge chez Polydor, cette année là, et moi je me dis que show-business dans cette ambiance, c'est le Pérou.
On passe des mois ensemble, tu viens chez moi, je vais chez toi, je rencontre Patricia, ta femme, je viens te voir chanter à Bobino, tu m'fais écouter ton nouveau disque, et puis tu continues à me rassurer.
Tu m'encourages. On boit bien, on mange bien. Les années passent, et nos routes se séparent, je t'entends de plus en plus à la radio, à la télé, je commence à entendre mes chansons aussi, alors on se téléphone, on se promet de dîner ensemble, et puis on travaille, on n'arrête plus de travailler, ton fils Florian grandit, et puis c'est Madeline. Et toujours des chansons, on se revoit au déjeuner, on discute jusqu'au dîner et on parle jusqu'à l'aube et trop vite, on se redit à bientôt.
Jusqu'en été 1981 où tu nous dit au revoir, et là je trouve ça franchement dégueulasse parce que la mort est une conne que t'avais pas besoin d'aller voir, et puis je m'dis qu'tu es à l'origine de tout pour moi et que j'n'ai pas eu le temps de te l'dire, pas plus que j't'aime, que tu chante Bob Dylan mieux que lui, que tes chansons continuent de m'éclater la tête.
Et puis j'éteins la radio, je pleure comme un con, tu commences à m'manquer, et puis ça y est, tu m'manques carrément.


(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
Je ne suis qu’une carte postale
Et moi aussi j’ai le cartable
Plus lourd qu’une table
J’me replonge trente ans en arrière
Le soir quand j’ai l’moral pas clair,
J’y pense, et c’était le bon temps…

1971 : « Les halles » s’installaient à Rungis, et la proximité de l’aéroport d’orly avait poussé quelques promoteurs à installer à Fresnes, une « cité dortoir ». C’est là que mes parents allaient acheter leur premier commerce : une librairie, tabac, journaux et autres articles comme….des disques. On trouvait alors dans toutes les boutiques, des présentoirs de 45 tours (les magasins spécialisés n’existaient pas encore), et mes parents n’hésitaient pas à organiser des séances de dédicace d’auteurs ou de chanteurs ! C’est ainsi que nous avons fait connaissance de la famille Caradec. Les 45 tours du jeune chanteur avaient été mis en évidence, et c’est ainsi que toute la famille allait se lier d’amitié pour le jeune couple qui lui, vivait dans un 2 pièces, dans une des tours. Si les Caradec aimaient tant venir chez nous, c’est que nous y vivions ensemble des moments uniques. A la maison, la tolérance, nous n’en parlions pas. Nous la vivions. Mon grand-père Maltais, parlait 5 langues à 5 ans, 12 à 40 ans. Mon père lui, n’avait vécu qu’en Tunisie et en France ou il avait épousé ma mère : une normande ! Aussi nos repas familiaux ne manquaient jamais de sel… ils se déroulaient ainsi :
Papy, en bout de table, jouait malicieusement de ces atouts et commentait le repas à chacun d’entre nous, dans les langues que nous maîtrisions. Avec Patricia caradec, c’était le russe, Jean-Michel lui répondait en anglais, qu’il parlait à la perfection. Pour l’oncle Armand c’était l’hébreu, l’arabe avec mon père, l’italien avec ma mère, et tout cela dans notre langue commune de bons franchouillards respectueux du sang versé pour la laïcité de notre pays d’adoption. Aussi, histoire de rire un peu plus, Jean-Michel emmenait avec lui un copain breton, juste histoire de corser les débats d’un dialecte dont eux seuls connaissaient le secret.
D’autres fois, c’était les « bœuf ». Chez nous, une pièce de l’appartement avait été consacrée à mon piano, un Erard à queue, que nous faisions résonner jusqu’au dernier étage, au grand dam des voisins. Aussi, pour nous remercier de la primeur de nos mélodies, une jeune femme à l’étage n’hésitait pas à sortir, dès l’aube, son accordéon massacrant «Verchuren », tandis que nous, moqueurs et sarcastiques, regrettions l’absence des satiristes bêtes et méchants d’ Hara Kiri…
C’est ainsi que j’allais devenir la « mascotte » des Caradec, la baby-sitter de leur fils Florian, tandis que Jean-Michel et moi, en bons voisins musiciens, échangions nos 33 tours, nous enrichissant de nos différences. Il aimait les chanteurs dits « réalistes », je leur préférais Litz ou Chopin. Il était Berger, moi, j’étais Sanson, il étais Stills, j’étais Nash, en résumé, j’étais Beatles, il était Stones. Je me souviens ainsi avoir passé des heures à tenter de le convaincre que « Tommy » des Who, était le plus grand opéra rock de tous les temps, tandis que lui me rabachaît que Patt Garrett et Billy le kid était le film à voir, et à écouter sans retenue… Et l’avenir allait lui donner raison, puisque le morceau « knocking on heaven’s door » a connu bien des succès.
Puis, tout allait arriver très vite: le succès, la notoriété, l’argent, le déménagement vers la maison de St Cloud, un studio d’enregistrement, une maison d’édition, tout ce qu’il fallait à la famille, agrandie d’une petite Madeline, pour se sentir libre. Jean-Michel aimait à croire que « tout le monde il était beau et gentil » comme il l’était lui-même. Il aurait donné tout ce qu’il avait, s’il avait pu racheter tous les malheurs de la terre. Ce qu’il ne pouvait faire avec de l’argent , il le faisait avec des mots, avec ses maux, comme le porte parole d’une génération révoltée qui ne demandait qu’une chose : le droit, non pas de vivre… mais d’exister. A sa façon, il ouvrit les portes dans lesquels allaient s’engouffrer d’autres contestataires comme Balavoine, ou Coluche (à qui il avait apporté son soutien lors de sa présentation aux élections de 1981).
Quelques temps avant sa disparition, nous échangions toujours nos 33 tours, et c’est ainsi qu’un soir, nous nous lancions dans un débat sans fin, avec cette question : crois tu vraiment que, dans 20 ans, nos enfants riront du rock’n’roll ? Il avait déjà traversé tant de mouvements et d’influences ! C’est ainsi que, comme un clin d’œil aux années 80 qui enterraient les rock roll de notre enfance, Jean-Michel allait décider d’en laisser un témoignage sur un de ses albums, juste histoire de le commenter…dans 20 ans … Patricia quand à elle, s’occupait plutôt du « management » et je lui dois mes connaissances du coté plus business, administratif, relationnel, dont Jean-Michel trop timide et réservé, trop artiste, n’aimait pas à s’occuper.
Aussi ai-je absorbé comme une éponge tout ce qu’ils m’ont permis d’apprendre, les concerts, le back stage, la technique, les studios, les spectacles : L’Olympia Caradec, Le Forestier, j’étais sous le piano ! La salle, pleine à craquer, refusait des dizaines de personnes à l’entrée, et quelques privilégiés avaient été priés de prendre place…. sur scène ! Le palais des sports, en mai 74, où les billets d’entrée atteignaient des prix hallucinants au marché noir tant l’affiche était belle : Maxime Le Forestier avait convié Dick Annegarn, Nicole Croisille (super blues woman !), Caradec, Yves Duteil. Les émissions de télé, les soirées « spéciale Caradec », les tournées dans les écoles où les institutrices apprenaient « la colline aux coralines » aux enfants, les rencontres, les connaissances, dont certaines me permirent d’évoluer et de travailler de nombreuses années dans le domaine musical. Là, d’aventures en aventures j’allais revêtir plusieurs casquettes, passant du management de groupes de rock au secrétariat de studios, à l’organisation de concerts, d’albums et de tournées.
Et s’il est des rencontres décisives dans une vie, celle des Caradec aura marqué indéniablement, la mienne. Ils m’ont aidés à me construire et m’ont ouvert le chemin, et ça, je ne l’oublie pas….
Parce qu’oublier n’est pas de mon age.
Soleil Noyé

Il y avait dans son regard
L'ivresse aveugle du hibou
Et le flou d'un rêve de moire
Où se consumait l'amour fou

Il réinventait l'idéal
Et traversant l'inconcevable
Dompteur de lunes et d'étoiles
Sur un fil fait de grains de sable

Jean-Michel
Le soleil
Plonge dans le vermeil
Et se noie
La camarde a givré
Le vernis craquelé
De ta voix

Le mauve des fougères lasses
Que les korrigans la nuit hantent
Garde le parfum et les traces
De muses aux cuisses inquiétantes

Sur la colline aux coralines
Tombent des larmes opalines
Ce n'est rien juste un peu de bruine
Il faut rien dire à Madeline

Jean-Michel
Le soleil
Plonge dans le vermeil
Et se noie
La camarde a givré
Le vernis craquelé
De ta voix

Il y avait dans son regard
L'ivresse aveugle du hibou
Et le flou d'un rêve de moire
Où se consumait l'amour fou


(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
Bonjour, j'ai effectivement connu Jean Michel, je l'ai même remplacé pour mon premier concert avec Lama. Tous les deux nous avions un studio d'enregistrement à la maison et je suis allé chez lui pour découvrir son installation avant de commander la mienne ! C'est quelqu'un qui me manque et qui doit manquer à beaucoup d'entre nous !
Amicalement
Il est toujours difficile de parler d'un ami, mais il est encore plus difficile de parler d'un être qui n'est plus auprès de nous.
Jean-Michel était un homme simple, franc avec une sensibilité à fleur de peau, sa voix et son œuvre reflète tout à fait sa réelle personnalité.
C'est un des premiers interprètes que j'ai contacté lorsque j'étais à la recherche d'Artistes pour les réunir sur le double Album "Le Rêve de Mai".
Ce double album était un concept sur les évènements de Mai 1968 qui est sorti à l'occasion du 10ème anniversaire des évènements en 1978.
Dés qu'il a entendu les deux chansons que nous avions créées avec Simon Monceau, il nous a donné son accord pour participer à cette création.
Cet album était une véritable aventure dans la mesure où c'était la première fois en France que différents Artistes de différents labels allaient se retrouver sur un même label, en l'occurrence Philips.
Nicole Rieu, Armande Altaï, Pascal Oberson, Nicolas Peyrac, Sabrina Lory, Daydé, les frères Costa, Lydie Callier et Jean-Michel on accepté de chanter sur ce double album.
Jean-Michel surfait sur la vague du succès avec simplicité, sa gentillesse et son calme étaient appréciés par tous ses proches.
Les enregistrements des voix de ce double album ont été réalisés à Paris au studio 92 et chaque Artiste a apporté le meilleur de lui-même. Ces enregistrements restent un souvenir très intense dans ma carrière Artistique.
Le seul regret que j'éprouve, c'est que Johnny Hallyday ait décidé à la dernière minute de ne pas participer à notre aventure.
Jean-Michel était très concerné par ces enregistrements et il était inquiet durant ces prises de voix, il me demandait toujours : "Tu es sûr que c'est bien ? Tu as ce que tu veux, sinon je peux refaire une prise de voix…".
J'entends souvent sa voix teintée d'émotion et de douceur…
Va Jean-Michel, continue à caresser ta guitare et protège nous… un jour prochain nous serons à nouveau réunis.
C'était en Bretagne, en plein été, pendant la tournée avec France-Inter. Il faisait un ciel gris sans nuages, on se demandait bien pourquoi. Ce jour-là, on avait appris la mort de Jean-Michel en écoutant les nouvelles à la radio, et du coup, on s'est mis à penser à la mort alors qu'on n'y pense jamais.
Bien sûr, y'avait le concert à faire et il fallait pas se laisser aller ; fallait tout préparer, répéter le programme du jour, faire la balance, le son, les lumières et tout et tout… Le spectacle a eu lieu sans que l'on sache vraiment s'il fallait ou non chasser la tristesse qui rôdait dans nos cœurs.
Après le dernier rappel, au moment de saluer, je chantai une de ses chansons comme on agite un mouchoir sur le quai d'une gare, comme on dit au revoir à quelqu'un qui s'en va. Il y eu un grand silence ; et puis tout le monde a repris la chanson du poète.
Alors le vent s'est levé sans prévenir et la pluie s'est mise à tomber sur nos voix qui montaient.
Personne n'a bougé, malgré le vent, malgré l'averse et quand je suis rentré dans ma loge avec toute cette pluie qui me collait aux yeux, une chanson m'est revenue sur les lèvres qui disaient : "Qu'elle est belle ma Bretagne quand elle pleut".


(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
Jean Michel était un grand ami et nous avions projeté de chanter ensemble dans le cadre d'un groupe avec Serge Koolen aussi... Et puis il a eu son accident...
J'ai toujours beaucoup aimé sa sensibilité et j'ai adoré lui faire les choeurs sur "Dernier avis".
Je peux vous raconter également comment d'une certaine manière il a été le point de départ d'un grand virage dans ma vie :
il devait chanter le 19 Septembre 1981 à L'Auberge du Pin en Ardèche....
Par l'intermédiaire de son secrétaire, je l'ai remplacé et la rencontre que j'ai faite avec les gérants de ce lieu fut pour moi assez exceptionnelle. Nous sommes restés amis et 6 ans plus tard, je quittais la région parisienne pour m'installer en Ardèche... où j'ai acheté une petite maison... à 2km de l'auberge du pin (qui est fermée depuis déjà quelques années).Voilà...
Pendant quelques années après son départ, j'ai interprété "Le fil du funambule" pour lui rendre modestement un hommage...
Je vous remercie de le rendre éternel par votre association.
Bien amicalement.
J'ai connu Jean-Michel par Jean Musy, son premier arrangeur que j'avais rencontré lors d'une de mes toutes premières expériences en studio d'enregistrement.
Je lui avais fait savoir que j'etais multi-instrumentiste, guitariste à la base avec options banjo, dobro et pedal steel, et que je débutais dans le métier.
Ca marchait bien pour J.M. qui allait faire l'Olympia (1975) et pour cette occasion voulait renforcer son groupe avec l'apport d'un mec ayant mon profil. Le timing était bon et sur le conseil de Jean Musy, j'intégrais le groupe de J.M. et ce fut pour moi le début d'une double collaboration, avec lui pendant plusieurs années et avec Jean Musy.
Avec J.M., ce qui a été déterminant et ce qui a facilité notre collaboration fut le fait que nous avions en commun Dylan, la guitare folk, les musiques country et celtiques et le blues, ainsi qu'un goût commun pour la Bretagne et les plaisirs de la vie, "mords la vie à pleines dents" (je cite J.M. de mémoire).
Dans notre travail, ça a commencé pour moi sur scène puis en studio (pour le disque pour enfants) par de la guitare et autres instruments, puis J.M. a souhaité plus tard que je m'occupe des arrangements des chansons les plus traditionnelles, folk ou rock, Jean Musy arrangeant les titres plus orchestrés.
Les impressions qui subsistent aujourd'hui me laissent de J.M. le souvenir d'un artiste doué pour l'écriture et la poésie et que le flash sur Dylan a conduit à faire des chansons que sa voix faisait vivre. Ce mélange de don pour l'écriture, son sens mélodique, sa voix d'une aisance naturelle associés à un épicurisme où les valeurs bretonnes côtoyaient le" flower power californien" n'en faisaient pas un bourreau de travail pour améliorer avec rigueur ses points faibles. Il était aux antipodes de la conception "professionnelle" et "marketée" du "métier" de chanteur que nous connaissons actuellement, et a traversé avec des fortunes diverses cet univers dont il savourait aussi certaines contreparties matérielles, avec plus ou moins bonne conscience.
Il préfigurait ainsi le dilemne que de nombreux artistes de cette génération (et des suivantes) ont tant de mal à résoudre entre honnêteté artistique et intellectuelle et volonté de continuer à jouir du succès et de ses à-côtés, une fois celui-ci rencontré.
Pour J.M. ce fut avec "Ma petite fille de rêve" qu'il goûta aux joies nouvelles du fan club, de la médiatisation et de l'argent.
Je pense qu'une force lui a fait croire en sa bonne étoile dès sa phase de "construction" artistique, mais il a selon moi, comme beaucoup d'artistes, mal mesuré les implications que ce métier (car c'en est un) suppose si l'on veut faire une longue carrière. Le fait d'écrire de bonnes chansons ne suffit pas. Le choix de l'entourage professionnel, le travail ou l'absence de travail sur l'image et la communication ont un rôle considérable et peuvent isoler l'artiste du noyau dur de ses premiers fans si les négligences s'accumulent. Les exemples d'artistes gérant mal leur carrière professionnelle abondent. Tout le monde n'est pas JJ Goldman ou Madonna.
La rencontre de J.M. avec le public l'a sans doute incité à penser que le succès etait là et que le public le suivrait quoi qu'il fasse. Mais le métier est impitoyable pour ceux qui gardent (par choix ou par nécessité) une attitude d'amateur, terme non péjoratif, bien sûr, dans ce cas. Ce qu'une partie du public ou de l'environnement proche peut prendre pour de l'intégrité sympathique peut facilement desservir le "producteur" que J.M. avait pensé devenir en faisant son propre studio, en montant son édition et en produisant ses disques. Difficile de réunir selon l'heure l'inspiration poétique et la rigueur comptable.
En tout cas ce que l'on peut dire c'est que J.M. s'est débattu entre ses contradictions et qu'en ce sens il est très actuel. Il fut un précurseur et un découvreur. Il fut l'un des premiers à opter pour l'auto production, après des expériences avec Polydor, Decca et RCA se terminant généralement mal.
Son idée d'autoproduction était bonne mais de multiples obstacles, l'ont transformée en cauchemar, à tel point que pour son dernier album il dut "s'exiler" sur l'Ile de Ré.
Artistiquement (il fut un temps directeur artistique chez Polydor au début de sa carrière) il avait le don pour repérer des débutants qui allaient faire carrière : Voulzy, Didier Barbelivien que J.M. avait vivement encouragé, et Cabrel me viennent à l'esprit. J'etais avec lui quand il entendit Cabrel pour la première fois à la radio et je me souviens qu'il appela successivement RTL puis la maison de disque pour qu'on lui fasse parvenir le disque de Cabrel. Il etait persuadé que Cabrel allait faire carrière, dès la première écoute.
Il avait flashé sur Mark Knofler et Dire Strait bien avant Dylan et m'avait dit un jour qu'il voulait contacter Knofler pour l'avoir sur son prochain album. Ce que J.M. avait imaginé, Dylan le fit un peu plus tard.
Autre élément très actuel, sans être le militant que fut Stivell, J.M. revendiqua ses origines bretonnes haut et fort et de Portsall à la mer d'Iroise, la Bretagne est très présente dans ses chansons, de même que ses préoccupations écologiques. Je passerai rapidement sur son goût pour le foot, la bonne bouffe et les muses qui confirment que les poètes ne sont pas nécessairement ascètes.
Son influence sur les auteurs compositeurs interprètes français Cabrel, Lalanne, Goldman, Duteil entre autres me semble évidente, en tout cas il est de leur calibre et ses chansons aux inflexions dylaniennes qu'il fut le premier à introduire en France ne sont pas éloignées, 20 ans après, des phrasés de Bruel, Goldman, Cabrel ou de Stephan Eicher. Que ceux qui aiment ces artistes écoutent J.M., ils s'y retrouveront.
Avec le retour en grâce des musiques acoustiques, des 70's, je suis persuadé de l'actualité de J.M. Caradec.
Je finirai par tout ce qu'il m'a apporté. Mon premier passage à l'Olympia, la découverte de l'envers du décor et les rencontres, les bœufs avec artistes et pointures de studio, mes premières télés, ma première vraie tournée, Bobino en première partie de Brassens, mes premiers arrangements, mes premières directions d'orchestre et aussi ma première rupture professionnelle suivie heureusement, peu avant sa disparition d'une "réconciliation" devant une bonne table, comme il se doit.
Ces années ont été pour moi celles de mes vrais débuts professionnels et je me rends compte aujourd'hui que grâce à la densité de cet artiste j'ai appris plus que ce qu'il n'a sans doute jamais imaginé : j'ai vu un artiste véritable, dans l'ombre et dans la lumière, à la fois si semblable et si différent, aux prises avec les extrêmes, réunissant en lui le sublime et l'ordinaire, la fulgurance poétique et la faiblesse de l'homme. Il était tout à la fois employeur et complice, une dualité assez spécifique et archétypale du rapport "moderne" artiste-musicien, difficile à gérer.
Avant de travailler avec lui j'étais planté entre des groupes sans avenir et des orchestres de variétés indigestes. Je lui dois donc surtout de m'avoir permis de prendre une troisième voie qui me correspondait bien. La carrière de musicien professionnel qu'il me faisait entrevoir alliait travail sur scène et en studio et J.M. m'a fait découvrir une image "noble" du "show-business" et du rôle du musicien, où émotion, rigueur et créativité étaient valorisées.
Sa rencontre a été déterminante dans ma carrière professionnelle, et je le remercierai toujours pour la confiance qu'il m'a témoignée.
Garçon de cœur et d'amitié, Jean-Michel aimait d'une même passion la chanson et la scène, le ballon et le terrain de football. Poète, sensible, généreux, il cultivait les relations humaines, et, Rocheteau, Bathenay, comptaient parmi ses nombreux amis. Il a partagé notre gazon et notre aventure. On ne t'oublie pas Jean-Michel.

(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
Je suis americain, et j'étais bassiste avec Jean Mi entre 1974 et 1976.
Aujourd'hui, j'habite au Colorado aux Etats-Unis avec ma femme et trois enfants, je suis Vice Président d'une compagnie Américaine, mais je garde l'âme d'un musicien et la sensibilité d'un artiste.
Pour toute ma vie, je considérerai Jean Michel comme un très, très bon ami. Il m'a touché profondément, et j'étais écrasé par sa mort.
J'étais venu en France en 1973 avec l'intention de faire une Maîtrise en littérature, mais il fallait d'abord que j'apprenne le Français (arrivé à Paris, je ne parlais pas un seul mot de votre langue).
Pendant l'année 1973, j'ai rencontré un guitariste Parisien, Yves Hayat. Yves venait de rencontrer Jean Mi qui, à ce moment-là, baignait dans le succès de "Ma Petite Fille de Rêve", il était en train de monter un groupe pour tourner. Il ne voulait pas engager des "requins" (musiciens de studio) comme faisait tous les jeunes vedettes à l'époque, plutôt, il voulait monter un groupe à lui, avec son propre son et caractère.
Nous avons fait la queue pour faire une audition chez Polydor à Paris, et deux jours après il nous à proposé le "gig".
Nous avons commencé des répétitions au sérieux, et sommes partis en tournée un mois plus tard en première partie de Serge Lama. A la fin de cette tournée, Jean Michel m'a téléphoné pour dire qu'il n'était pas content du groupe, et qu'il voulait le refaire.
Cependant, il voulut que je reste avec lui, ce que j'ai fait volontiers.
Jean Michel s'est procuré d'autres musiciens par ses contacts chez Polydor, dont Claude Samard. C'est ainsi que j'ai connu Claude.
Pendant les deux années qui suivirent, on a fait d'innombrables tournées, émissions et enregistrements ensemble.
Début 1976, j'ai monté un groupe "minettes" qui a enregistré une chanson en espérant de se faire du fric avec un "tube". Le groupe s'appelait "Candi". C'était une musique un peu "funky" et assez bidon, mais j'avais envie d'essayer quelque chose de différent. J'ai quitté le groupe Caradec pour promouvoir ce disque. Cela n'as pas fait un grand succès, et pour des raisons personnelles, j'ai pris la décision de rentrer aux Etats-Unis.
J'ai quitté la France, et suis rentré définitivement aux U.S., en novembre 1976.
Je suis resté en contact avec Jean Michel jusqu'a sa mort. Nous étions très proche. Je l'aimait comme homme.
Je vous parle maintenant de Jean Michel l'homme.
C'était l'un des plus gentil, doux et généreux hommes que je n'ai jamais eu l'honneur de connaître. S'il avait du succès, c'est parce que sa musique était son âme. Il était ce que sa musique exprimait. Il voulait mordre la vie à tout instant, et il aimait et respectait beaucoup ses amis. Il aimait la musique. Il aimait la poésie. Il aimait la Bretagne, son histoire et ses fruits de mer avec le vin blanc.
Il aimait ses amis, être en tournée, rigoler, découvrir. Il aimait surtout sa famille : sa femme, et ses gosses. Il était profondément un mec de famille. Tandis que le plupart des musiciens draguaient en tournée, il n'était pas comme ça. Il aimait les femmes bien sûr, mais il les poursuivait pas. (C'est plutôt elles qui l'ont poursuivi).
Mais il voulait donner plus à sa famille qu'il ne pouvait jamais recevoir en retour, et cela, c'était une source d'angoisse pendant toute sa vie. Cela le rendait inconsolable. Jean Michel me manque beaucoup, et il me manquera pour la reste de mes jours. J'était béni de l'avoir connu, même pour trois courtes années.
J'espère d'avoir contribué une petite pièce du puzzle qui est la vie et la légende de Jean Michel Caradec.
Aujourd'hui le vent se lève comme une chanson de Dylan, au fait tu sais, ça m'a fait un drôle d'effet, quand dans ce matin de lumière bleue, j'ai appris que sur l'une des routes où tu poursuivais ta"course au soleil", tu as trouvé la stridence du néant.
Ici, c'est toujours à peu près la même chose: la vie avec ses urgences, ses ordonnances. Les copains font ce qu'ils peuvent pour sauver leur peau. Voici de leurs nouvelles : Kernoa, le poète, écrit des trucs hantés de nymphes et de brouillard. Dans son refuge du Val-de-Marne, ton pote Barbelivien inonde le métier de son savoir-faire. Le Forestier ne me chante toujours pas, (tant pis pour lui). Elton John, quant à lui se vautre dans la guimauve de la paresse avec aisance, à tel point que je me demande si c'est le même bonhomme qu'on écoutait jadis en copains alors que nos idées poussaient comme des fleurs de sang, emmêlant leur solitude et leurs rêves. Enfin, il faut se rendre à l'évidence : chacun son trou dans le même fromage... Franchement, ça fait bizarre dans le coeur de te savoir dans cette autre dimension du cosmos. D'un seul coup, le passé remonte, et je me demande ce que sont devenus les gamins straights et nubiles, espiègles et graves en tuniques indiennes qui venaient miauler dans nos piaules...
Leurs lèvres condamnées à vivre se désaltèrent de mon souffle. Leurs caresses, comme tes chansons me touchent encore.
Depuis d'autres errances, d'autres erreurs sont venues, n'empêche que la mémoire existe.
Les malades aux pulsions méphitiques traînent l'écho de la paranoïa. Une race plus paumée que toutes les autres se pointe et se résigne à l'abandon. Les mômes d'aujourd'hui ne se contentent plus des bouffées d'herbe magique, ils carburent à la poudre blanche. A chaque coin de rue, tu peux lire dans la cicatrice de leur regard les ravages de la désillusion. Ils veulent aller plus vite, plus loin vers les points d'interrogation du ciel ou de l'enfer.
L 'homme a vendu son âme aux rayons des surgelés, c'est terrible. Le mal d'angoisse ronge le corps et la tête de l'humanité. Nos petits frères savent que l'inhumain est dans l'humain. Leurs yeux ont la tristesse et la désolation de ceux qui ont raté leur but.
Crois-moi, en ce moment, non seulement les oiseaux ne volent plus à l'endroit, mais aussi ils ont perdu leurs ailes, englués dans le mazout de la déchéance.
La vie n'est plus pour eux que des bouts de bonheur à saisir. C'est le vide : le crâne atomisé par la menace" soviète", ils gémissent des propos nihilistes et se lamentent entre les rangées de fusils en érection.
Entre ses lignes d'autobus et ses lignes de fuite, la ville nécro-pométallique berce ses petits qui n'ont plus qu'une envie : crever à défaut de ne pouvoir se casser d'ici.
Comme tu peux le constater, les vieux hippies de San Francisco et de l'île de Wight pleurent sur les fleurs fanées de leur guitare.
Mais là-haut, dis-moi, est-ce que les oiseaux offrent leur poitrine au vent fou, les sources même de l'espérance lavent-elles vraiment l'homme de tous ses péchés? La bande son de nos cauchemars est-elle larguée pour de bon au vent du pardon éternel ? Enfin, est-ce que le soleil éclatera un jour comme promis, au bout de la fatigue et de sa vérité ? As-tu trouvé après les fluctuations matricielles de ton passage sur la terre, la trajectoire douce et calme que tu recherchais tant. Moi, je continue de penser que toute la névrotique de l'art n'égalera jamais l'absolu d'une rose, d'estimer que si l'art est chargé d'exprimer la vie - faut commencer par prendre le temps de vivre.
Excuse-moi de ne pas t'avoir écrit plus tôt, mais j'ai eu du mal à me procurer ton adresse. L'idiot que je suis, avait oublié que nous avions la même religion : celle de l'amour.
Fais la bise à Joëlle et à Brian Jones ainsi qu'à tous les autres.

Ce fou de Collo à
J.M. Caradec
4 coin de I'infini
Cité de la terre des roses
C/O Dieu le père
99 999 CIEL


(Texte paru en 1982 dans le mensuel Paroles & Musique et publié avec l'aimable autorisation de la revue trimestrielle Chorus)
"Dans un autre registre, on va lancer un cri du cœur, un grand coup de cœur à Jean-Michel Caradec qui est mort beaucoup trop tôt en se tuant dans un accident de voiture en 1981. Lui aussi a chanté la Bretagne à sa manière et on l'aime tout autant..."

Europe 1 (Hiver 1997).
Emission "Dans l'air du temps" spéciale musiques de Bretagne, animée par Laurent Cabrol (présentateur météo) et Daniel Lesueur (journaliste).
J'ai récemment surfé tout à fait par hasard sur cette page et y ai trouvé un album sur lequel j'ai "participé" lorsque j'étais une toute petite fille. C'est à la demande de Pascal Dumay, l'instigateur de www.jeanmichelcaradec.com, que je laisse ce message :
Je ne me souviens que vaguement de ce week-end d'enregistrement dans un château à proximité de Paris mais déjà à la campagne. Ma mère avait dû faire une demande officielle auprès de la mairie pour que nous puissions manquer notre samedi matin d'école afin de "travailler", ce qui - est-ce bien la peine de le préciser - est interdit aux enfants. A cette occasion, nous avons même été inscrits à la SACEM.
Ce jour-là, les enfants des musiciens ou du producteur étaient réunis :
Aurélien Dejacques, Florian Caradec, mon frère Pierre et moi devions chanter pour l'«Album pour les enfants». Je crois que d'autres enfants étaient présents mais n'en suis pas certaine. C'étaient les années 70, alors il faisait extrêmement chaud sous les cheveux longs... Les enfants étaient tellement survoltés que j'ai fini par chanter, seule et intimidée, ces fameux lalalas très faux sur la fin des "Secrets". Faux certes, mais que chacun trouva alors apparemment fort charmant. Je crois que mon frère - quant à lui - n'avait pas du tout envie de chanter et nous a livré la plupart du temps de ravissants play-back et une magnifique victoire au ping-pong!
J'avais annoncé que mon témoignage ne serait pas des plus excitants.
En revanche, Pascal m'a depuis envoyé ce fameux disque que je ne possédais pas. Certaines compositions sont superbes. Alors un grand merci !
Bises.
Quelques souvenirs me reviennent en réécoutant les deux 45 tours que nous avons fait Jean-Michel Caradec et moi.
Je me rappelle par exemple le jour de son mariage avec Patricia à St Cloud. Il était venu habillé en Arlequin, la moitié de son costume était rouge et l’autre moitié noir si j’ai bonne mémoire. Il y avait ses parents et sa sœur, des personnes adorables, comme Jean-Michel d’ailleurs. C’était un très beau mariage.
Il venait souvent chez moi pour que je puisse travailler sur ses orchestrations. Nos relations étaient plus amicales que professionnelles, il était pour moi comme mon petit frère.
Sa façon de chanter et ses chansons reflétaient l’époque romantique. Je me rappelle de ses passages dans différentes émissions de radios publiques, produites par Eve Criliquez sur France culture, il était très apprécié par le public.
En tout les cas, sa mort prématuré a été une grande perte pour la chanson française.
Je remercie tous ceux qui pensent vraiment à Jean-Michel Caradec...